Par Jeb Sprague - Le Grand Soir
Le Gouvernement haïtien prépare le retour de l’armée haïtienne, pourtant dissoute, qui a été une institution coupable de nombreux crimes perpétrés dans le pays. Au même moment, des unités spéciales de la police ont été utilisées pour chasser les victimes du tremblement de terre hors des campements de fortune.
Alors que la société civile et les organisations populaires d’Haïti mènent une campagne contre un éventuel retour de l’ère de la répression duvaliériste, les citoyens américains, dominicains, et français devraient être mis au courant de l’appui historique que leur gouvernement a donné aux forces armées militaires et paramilitaires haïtiennes, ainsi qu’aux forces de sécurité.
La formation d’une nouvelle force militaire moderne a commencé lors de l’occupation nord-américaine entre 1915 et 1934. Une fois que les militaires nord-américains se sont assurés que l’occupation pouvait continuer par procuration, les États Unis se sont retirés de l’île. Au début des années 60, les marines nord-américains ont entrainé les Tonton Macoutes et en ont fait la force paramilitaire redoutée du dictateur François « Papa Doc » Duvalier.
Lorsque le fils de Duvalier, Jean Claude, a pris le pouvoir en 1971, les anciens marines nord-américains ont entraîné et équipé un corps de l’armée brutal appelé les Léopards. Ces instructeurs travaillaient pour une compagnie de Miami, qui était alors sous contractée par la CIA, le tout sous la surveillance du Département d’État Américain. La France a également soutenu le régime duvaliériste.
Dès l’inauguration du premier gouvernement démocratiquement élu d’Haïti, en Février 1991, ces criminels paramilitaires de renom sont entrés dans la clandestinité.
Cependant sept mois plus tard, les forces militaires du pays organisent un coup d’état contre le président élu démocratiquement, Jean-Bertrand Aristide. Une nouvelle organisation paramilitaire se crée, le FRAPH, et lance une vague de terreur sur le pays.
Après des années de mobilisation et de pression sur le gouvernement étatsunien et sur l’Organisation des Nations Unies, la démocratie haïtienne est restaurée en 1994. L’armée (intrinsèquement liée aux paramilitaires) est dissoute et des procédures judiciaires commencent. Et pourtant certains diplomates nord-américains ont exercé de fortes pressions pour l’inclusion de certains anciens militaires à des postes importants dans la nouvelle force de police haïtienne. Comme le souligne alors l’ONG Human Rights Watch dans un rapport, les États-Unis ont utilisé une partie de cette nouvelle force policière contre les mouvements populaires du pays.
Il convient de souligner également que les forces militaires ont contrôlé pendant des décennies le narcotrafic, et après la dissolution de l’armée, une partie de l’élite et des anciens militaires (dont certains sont aujourd’hui parmi la police) se sont disputé le contrôle du trafic de la cocaïne.
En 2000, un groupe d’anciens soldats connus sous le nom des « Équatoriens » (un groupe d’officiers ayant reçu une formation à Quito, en Équateur, bénéficiant de relations étroites avec les États-Unis) ont démontré comment l’influence étatsunienne sur les forces de sécurité haïtiennes, loin de les réformer, a produit l’effet inverse. À la fin de l’année 2000, ce groupe a lancé une guerre d’usure paramilitaire sur Haïti.
Plus tard, d’autres se sont rapprochés des paramilitaires, dont de riches leadeurs d’entreprises de textile haïtiennes, des néo-duvaliéristes, une poignée de fonctionnaires opportunistes du gouvernement haïtien, une partie du ministère des affaires étrangères dominicaine et de l’armée dominicaine. Les documents récemment déclassifiés grâce au Freedom Of Information Act (FOIA), ainsi que des entretiens ont révélé le très probable soutien des agences de renseignements étatsuniennes et françaises.
Utilisant la République Dominicaine comme base, les paramilitaires ont pu amplifier leurs opérations meurtrières et, en 2004 ils ont joué un rôle clé dans le coup d’État qui a renversé le deuxième gouvernement d’Aristide. L’Organisation des États Américains (OEA) et les États-Unis n’ont pas contraint la République Dominicaine à extrader ou à détenir les paramilitaires haïtiens qui utilisaient le territoire dominicain.
Peu de temps après le coup d’état, les procédures judiciaires à l’encontre des paramilitaires ont été suspendues. Les « financeurs » des escadrons de la mort ont bénéficié d’une totale impunité. Par la suite, 400 membres de la force paramilitaire ont été incorporés à la police remaniée sous la supervision des États-Unis, de l’ONU et de l’OEA. Nous connaissons aujourd’hui ces informations secrètes de l’ambassade étatsunienne par les révélations de Wikileaks.
Une certaine inquiétude est exprimée par l’ambassade des États Unis sur les paramilitaires, mais la politique fondamentale n’a jamais été remise en question : les personnes ayant perpétré de graves crimes et ayant renversé un gouvernement démocratiquement élu peuvent être intégré dans la police sans être tenu responsables de leurs crimes.
Suite au tremblement de terre de 2010 et à la polémique de 2011 lors de élections de Michel Martelly (allié duvaliériste), s’est lancé une campagne pour recréer l’armée haïtienne. La France a offert son appui financier, le Brésil et l’Équateur ont proposé, quant à eux d’entrainer les troupes.
De récentes études réalisé par société civile ont montré que la grande majorité de la population est en désaccord, voire en profond désaccord avec la reconstitution de l’armée.
Il est temps que les citoyens des États-Unis, de France, de République Dominicaine y d’autres pays se penchent avec attention sur ce que font leur gouvernement à Haïti. Le congrès des États Unis a besoin d’être plus attentif quant aux fonds alloués à Haïti par le département des affaires extérieures ; à savoir que ces fonds ne portent en aucun cas atteinte à la démocratie de ce pays, et ne servent plus à affaiblir le système judiciaire et à encourager l’impunité pour les criminels duvaliéristes et leurs alliés.
Les mouvements sociaux mondiaux doivent demander des comptes aux autorités responsables de leurs délits à l’étranger. Les mouvements populaires doivent créer et renforcer les liens qu’ils ont avec les mouvements haïtiens, en s’opposant aux coups d’état et à la violence paramilitaire.
Jeb Sprague est l’auteur du nouveau livre, « Paramilitarisme et l’Assaut sur la Démocratie en Haïti. » Pour plus d’informations, voir ici : http://monthlyreview.org/press/books/pb3003/
Versions anglaise de cet article:
(1) http://www.miamiherald.com/ 2012/09/06/2988432/reviving- haitis-army-would-harm.html
(2) http://upsidedownworld.org/ main/haiti-archives-51/3973- haitis-excluded-majority- opposes-armys-re-creationhttp://www.larepublicaonline. com/2012/10/20793/
Version espagnole de cet article:
(1) http://www.larepublicaonline.com/2012/10/20793/
Le Gouvernement haïtien prépare le retour de l’armée haïtienne, pourtant dissoute, qui a été une institution coupable de nombreux crimes perpétrés dans le pays. Au même moment, des unités spéciales de la police ont été utilisées pour chasser les victimes du tremblement de terre hors des campements de fortune.
Alors que la société civile et les organisations populaires d’Haïti mènent une campagne contre un éventuel retour de l’ère de la répression duvaliériste, les citoyens américains, dominicains, et français devraient être mis au courant de l’appui historique que leur gouvernement a donné aux forces armées militaires et paramilitaires haïtiennes, ainsi qu’aux forces de sécurité.
La formation d’une nouvelle force militaire moderne a commencé lors de l’occupation nord-américaine entre 1915 et 1934. Une fois que les militaires nord-américains se sont assurés que l’occupation pouvait continuer par procuration, les États Unis se sont retirés de l’île. Au début des années 60, les marines nord-américains ont entrainé les Tonton Macoutes et en ont fait la force paramilitaire redoutée du dictateur François « Papa Doc » Duvalier.
Lorsque le fils de Duvalier, Jean Claude, a pris le pouvoir en 1971, les anciens marines nord-américains ont entraîné et équipé un corps de l’armée brutal appelé les Léopards. Ces instructeurs travaillaient pour une compagnie de Miami, qui était alors sous contractée par la CIA, le tout sous la surveillance du Département d’État Américain. La France a également soutenu le régime duvaliériste.
Dès l’inauguration du premier gouvernement démocratiquement élu d’Haïti, en Février 1991, ces criminels paramilitaires de renom sont entrés dans la clandestinité.
Cependant sept mois plus tard, les forces militaires du pays organisent un coup d’état contre le président élu démocratiquement, Jean-Bertrand Aristide. Une nouvelle organisation paramilitaire se crée, le FRAPH, et lance une vague de terreur sur le pays.
Après des années de mobilisation et de pression sur le gouvernement étatsunien et sur l’Organisation des Nations Unies, la démocratie haïtienne est restaurée en 1994. L’armée (intrinsèquement liée aux paramilitaires) est dissoute et des procédures judiciaires commencent. Et pourtant certains diplomates nord-américains ont exercé de fortes pressions pour l’inclusion de certains anciens militaires à des postes importants dans la nouvelle force de police haïtienne. Comme le souligne alors l’ONG Human Rights Watch dans un rapport, les États-Unis ont utilisé une partie de cette nouvelle force policière contre les mouvements populaires du pays.
Il convient de souligner également que les forces militaires ont contrôlé pendant des décennies le narcotrafic, et après la dissolution de l’armée, une partie de l’élite et des anciens militaires (dont certains sont aujourd’hui parmi la police) se sont disputé le contrôle du trafic de la cocaïne.
En 2000, un groupe d’anciens soldats connus sous le nom des « Équatoriens » (un groupe d’officiers ayant reçu une formation à Quito, en Équateur, bénéficiant de relations étroites avec les États-Unis) ont démontré comment l’influence étatsunienne sur les forces de sécurité haïtiennes, loin de les réformer, a produit l’effet inverse. À la fin de l’année 2000, ce groupe a lancé une guerre d’usure paramilitaire sur Haïti.
Plus tard, d’autres se sont rapprochés des paramilitaires, dont de riches leadeurs d’entreprises de textile haïtiennes, des néo-duvaliéristes, une poignée de fonctionnaires opportunistes du gouvernement haïtien, une partie du ministère des affaires étrangères dominicaine et de l’armée dominicaine. Les documents récemment déclassifiés grâce au Freedom Of Information Act (FOIA), ainsi que des entretiens ont révélé le très probable soutien des agences de renseignements étatsuniennes et françaises.
Utilisant la République Dominicaine comme base, les paramilitaires ont pu amplifier leurs opérations meurtrières et, en 2004 ils ont joué un rôle clé dans le coup d’État qui a renversé le deuxième gouvernement d’Aristide. L’Organisation des États Américains (OEA) et les États-Unis n’ont pas contraint la République Dominicaine à extrader ou à détenir les paramilitaires haïtiens qui utilisaient le territoire dominicain.
Peu de temps après le coup d’état, les procédures judiciaires à l’encontre des paramilitaires ont été suspendues. Les « financeurs » des escadrons de la mort ont bénéficié d’une totale impunité. Par la suite, 400 membres de la force paramilitaire ont été incorporés à la police remaniée sous la supervision des États-Unis, de l’ONU et de l’OEA. Nous connaissons aujourd’hui ces informations secrètes de l’ambassade étatsunienne par les révélations de Wikileaks.
Une certaine inquiétude est exprimée par l’ambassade des États Unis sur les paramilitaires, mais la politique fondamentale n’a jamais été remise en question : les personnes ayant perpétré de graves crimes et ayant renversé un gouvernement démocratiquement élu peuvent être intégré dans la police sans être tenu responsables de leurs crimes.
Suite au tremblement de terre de 2010 et à la polémique de 2011 lors de élections de Michel Martelly (allié duvaliériste), s’est lancé une campagne pour recréer l’armée haïtienne. La France a offert son appui financier, le Brésil et l’Équateur ont proposé, quant à eux d’entrainer les troupes.
De récentes études réalisé par société civile ont montré que la grande majorité de la population est en désaccord, voire en profond désaccord avec la reconstitution de l’armée.
Il est temps que les citoyens des États-Unis, de France, de République Dominicaine y d’autres pays se penchent avec attention sur ce que font leur gouvernement à Haïti. Le congrès des États Unis a besoin d’être plus attentif quant aux fonds alloués à Haïti par le département des affaires extérieures ; à savoir que ces fonds ne portent en aucun cas atteinte à la démocratie de ce pays, et ne servent plus à affaiblir le système judiciaire et à encourager l’impunité pour les criminels duvaliéristes et leurs alliés.
Les mouvements sociaux mondiaux doivent demander des comptes aux autorités responsables de leurs délits à l’étranger. Les mouvements populaires doivent créer et renforcer les liens qu’ils ont avec les mouvements haïtiens, en s’opposant aux coups d’état et à la violence paramilitaire.
Jeb Sprague est l’auteur du nouveau livre, « Paramilitarisme et l’Assaut sur la Démocratie en Haïti. » Pour plus d’informations, voir ici : http://monthlyreview.org/press/books/pb3003/
Versions anglaise de cet article:
(1) http://www.miamiherald.com/
(2) http://upsidedownworld.org/
Version espagnole de cet article:
(1) http://www.larepublicaonline.com/2012/10/20793/
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